I. Prolégomènes
La République démocratique du Congo a adhéré à l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires, OHADA en sigle, le 12 juillet 2012. Le Traité et les Actes uniformes sont entrés en vigueur soixante jours après le dépôt des instruments de ratification et d’adhésion, soit le 12 septembre 2012, conformément aux articles 52 et 57 du Traité révisé de Port-Louis.
Avant son adhésion à cette organisation internationale d’intégration juridique en Afrique, les sociétés commerciales étaient principalement régies par le décret du Roi souverain du 27 février 1887, alors que les sociétés civiles étaient et sont encore principalement régies par le décret du 4 mai 1912.
Depuis son adhésion à l’OHADA, les sociétés commerciales en République démocratique du Congo, comme dans tous les États membres, sont organisées et régies par l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, d’abord celui du 17 avril 1997 abrogé, ensuite celui du 30 janvier 2014 en vigueur. Par contre, la controverse a semblé demeurer en ce qui concerne les règles juridiques devant s’appliquer aux sociétés civiles.
A. Problème de droit posé
En effet, l’article 1er du décret du 4 mai 1912 relatif au régime applicable aux sociétés civiles dispose que les articles 1 à 7, 11 à 13 du décret du 27 février 1887 sur les sociétés commerciales sont applicables aux sociétés civiles. Comme on peut le constater, les dispositions du décret régissant les sociétés commerciales s’appliquaient aussi aux sociétés dites civiles par renvoi du législateur. Avec l’entrée en vigueur du droit de l’OHADA en RDC, plus précisément en vertu de l’article 10 Traité de Port-Louis et 1er, 907 et 908 de l’Acte uniforme du 30 janvier 2014, les articles 1 à 7 et 11 à 13 du décret du 27 février 1887 sont abrogés. D’où, la question de savoir si cette abrogation produit ses effets tant pour les sociétés commerciales que pour les sociétés civiles, ou que cette abrogation n’affecte que le régime des seules sociétés commerciales, parce qu’étant les seules visées par le législateur communautaire.
B. Position de la Commission Nationale OHADA/RDC
Dans sa note technique d’orientation n° CNO/09/2014 du 30 décembre 2014, la Commission Nationale OHADA de la RDC a opté pour la première conséquence : Les articles 1 à 7 et 11 à 13 du décret du 27 février 1887 étant abrogés, le regime juridique des sociétés civiles est désormais par les dispositions des articles 98, 256-1, 256-2, 257, 258, 262, 263, 121, 122, 116, 117, 118, 119, 120 et 887 de l’AUSCGIE ainsi que l’article 69 de l’AUDCG, exception faite de l’article 13 du décret du 27 février 1887 qui échappe à l’abrogation. Tel est le point de vue de la CNO/RDC, et d’une partie de la doctrine que nous n’épousons pas.
II. Analyse en droit
A. Quel critère de définition de la société civile par rapport à la société commerciale ?
L’AUSCGIE a posé des règles relatives uniquement aux sociétés commerciales, et ne se préoccupe pas du sort juridique des sociétés civiles existantes et à venir dans l’espace OHADA (Lukombe Nghenda, Droit OHADA des sociétés en application en RDC, Vol. 1, Kinshasa, éd. PFDUC, 2018). Il est vrai que pendant longtemps, en droit des affaires, la distinction des sociétés civiles et des sociétés commerciales a été la « summa divisio » du droit des sociétés. Elle était la transposition, dans ce domaine particulier, de la distinction plus générale des commerçants et des non-commerçants. Le caractère civil était la règle et la commercialité l’exception.
Ainsi, en Droit OHADA, les sociétés civiles sont à définir négativement, à savoir que ce sont les sociétés qui ne sont pas des sociétés commerciales à raison de leur forme ni de leur objet.
1. Une société est commerciale en raison de son objet
L’article 6 alinéa 1er de l’AUSCGIE dit que le caractère commercial d’une société est déterminé par sa « forme » ou « par son objet ». L’alinéa 2 dudit article ajoute que « sont commerciales à raison de leur forme et quel que soit leur objet, les sociétés en nom collectif, les sociétés en commandite simple, les sociétés à responsabilité limitée, les sociétés anonymes et les sociétés par actions simplifiées » ; et outre ces dispositions légales de l’article 6 cité, il faut rappeler le prescrit de l’article 3 de l’AUSCGIE qui précise que toutes personnes, quelle que soit leur nationalité, désirant exercer en société, une activité commerciale sur le territoire de l’un des États parties, « doivent choisir l’une des formes de société qui convient à l’activité envisagée » parmi précisément les formes sus rappelées et prévues par l’article 6 précité.
La société en tant que personne morale, assimilée à une personne physique, est considérée comme exerçant une profession. Si cette profession rentre dans la catégorie des professions commerciales, la société est commerciale.
La détermination du caractère commercial est d’ailleurs plus facile pour les sociétés que pour les individus, car la société, qu’elle soit pluripersonnelle ou unipersonnelle, détermine son objet, précise elle-même la nature de son exploitation.
2. Une société est commerciale en raison de sa forme
Si l’article 6 de l’AUSCGIE dit que le caractère d’une société est déterminé par son objet, il ajoute qu’il l’est aussi par la forme de la société ; et les formes que cet article 6 consacre, sont les sociétés en nom collectif, en sigle « SNC », les sociétés en commandite simple, en sigle « SCS », les sociétés à responsabilité limitée, en sigle « SARL », les sociétés anonymes, en sigle « SA » et les sociétés par actions simplifiées, en abrégé « SAS ».
Il en ressort que depuis l’application en droit congolais des textes de l’OHADA, particulièrement ceux portant sur le droit commercial général et sur le droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, toute société instituée ou créée, même lorsque l’activité sociale est non commerciale telle que décrite ci-haut en référence à l’article 3 de l’AUDCG et à l’article 6 alinéa 1er de l’AUSCGIE, est commerciale, et soumise aux règles de droit commercial, dès lors que les associés optent pour l’une des cinq formes des sociétés énumérées à l’article 6 alinéa 2 de l’AUSCGIE.
B. Qu’en est-il des sociétés civiles ?
Comme indiqué plus haut, la société civile est définie a contrario de la société commerciale. En d’autres termes, est société civile : toute société dont l’activité n’est pas commerciale, ou alors toute société constituée sous une forme autre que celles indiquées à l’alinéa 2 de l’article 6 de l’AUSCGIE.
Ainsi, si les sociétés commerciales créées ou déjà existantes dans les États parties au Traité de Port-Louis sont régies par l’AUSCGIE, les sociétés civiles, elles, demeurent régies par le droit national de chaque État partie.
C. Quel est alors le sort des sociétés civiles congolaises au regard des dispositions abrogées du décret du 27 février 1887 ?
L’AUSCGIE a pour vocation de s’appliquer aux seules sociétés commerciales. Toute abrogation qu’il peut occasionner en droit interne ne peut l’être que dans l’intérêt des sociétés commerciales. Les dispositions des articles 1 à 7 et 11 à 13 du décret du 27 février 1887 sur les sociétés commerciales, s’appliquant aux sociétés civiles tel que l’a voulu le législateur du 4 mai 1912, sont abrogées par les dispositions de l’AUSCGIE. Cependant, ce qu’il faudrait savoir, c’est que cette abrogation n’a d’effet que dans la seule limite de son application aux sociétés commerciales.
Nous opinons donc que les articles 1 à 7 et 11 à 13 du décret du Roi Souverain du 27 février 1887 sur les sociétés commerciales demeurent applicables aux sociétés civiles congolaises. Par conséquent, actuellement, avec l’entrée en vigueur au Congo du droit des sociétés commerciales institué par l’AUSCGIE, les sociétés civiles continueront à être créé en prenant l’une des cinq formes prévues dans le décret de 1887, par exemple, la forme SPRL, société privée à responsabilité limitée.
« Le droit est beau, mais le raisonnement en droit est difficile ».
Grace Muwawa Luwungi