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Réduction du train de vie des institutions en RDC : une réponse efficace aux défis sécuritaires posés par le M23 ?

TRIBUNE

Les mesures d’austérité annoncées lors du conseil des ministres du 31 janvier soulèvent de nombreuses questions. Alors que le budget de la défense a considérablement augmenté ces dernières années, les opérations militaires contre le M23, soutenu par le Rwanda, piétinent sur le terrain. Cette décision du président Félix Tshisekedi, qui prévoit des primes pour les forces de sécurité et les Wazalendo, est-elle une réponse adaptée aux défis du conflit dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC)?

Il faut bien le reconnaître : la RDC fait face à d’importantes pressions. D’un côté, la guerre contre le M23, soutenu par l’armée rwandaise, semble s’intensifier malgré les efforts militaires, politiques et diplomatiques déployés. La chute de Goma et la poussée récente du M23 vers le Sud-Kivu en sont des exemples. De l’autre, le gouvernement doit mobiliser des ressources énormes, tant en interne qu’auprès des bailleurs de fonds, pour répondre à une crise humanitaire et sanitaire d’une très forte ampleur. D’après les données du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), le Nord-Kivu et le Sud-Kivu comptent aujourd’hui 4,6 millions de déplacés internes, «ce qui fait de la RDC l’un des plus grands foyers d’accueil de personnes déracinées à l’intérieur de leurs propres frontières.» Les besoins humanitaires se chiffrent en milliards de dollars.

Cependant, en ce qui concerne les opérations militaires, ces fonds issus des économies réalisées par les récentes mesures suffiront-ils à inverser la tendance sur le terrain militaire? La réponse est beaucoup plus complexe. D’abord, depuis l’arrivée de Tshisekedi au pouvoir, le budget de la défense n’a cessé de croître. En 2021, les dépenses militaires s’élevaient à 459 millions de dollars, pour atteindre 1,2 milliard de dollars en 2025, soit une hausse d’environ 160 %. Cette progression en seulement quatre ans s’explique principalement par la résurgence du conflit avec le M23 en novembre 2021, qui a contraint le pays à renforcer ses capacités militaires. L’armée s’est ainsi dotée d’équipements de pointe : drones de dernière génération, véhicules militaires, et un recrutement massif de soldats et des mercenaires. Sur papier, ces investissements devraient en principe permettre à l’armée congolaise d’être nettement plus efficace face au M23 et aux autres groupes armés qui sévissent dans l’est du pays. Mais la réalité sur le terrain sécuritaire est bien différente.

D’abord, il est indéniable que le soutien du Rwanda, documenté dans différents rapports du groupe d’experts de l’ONU, a permis au M23 de réaliser des avancées significatives sur le terrain. Toutefois, des problèmes internes persistent. Malgré ces investissements considérables, l’armée reste minée par des problèmes structurels liés notamment à la gestion des fonds. Plusieurs rapports font état de détournements de ressources destinées à l’achat d’équipements, la rémunération des militaires et la formation des nouvelles recrues. En 2024, par exemple, la Haute cour militaire a poursuivi certains officiers de l’armée basés au Nord-Kivu pour détournement de fonds destinés à la paie des militaires et pour avoir tenté de corrompre la commission de l’Inspection générale des FARDC. Ces dysfonctionnements s’inscrivent dans un contexte plus large de mauvaise gestion des finances dans l’armée. Au début de son mandat en 2019, le président Tshisekedi avait d’ailleurs dénoncé l’existence d’une « mafia » au sein de l’armée, et le général d’armée Christian Tshiwewe, alors chef d’état-major des FARDC, avait également pointé du doigt la corruption au sein des FARDC.

Une autre interrogation porte sur la pérennité de ces mesures. En effet, les inégalités salariales en RDC n’ont pas commencé avec ce conflit et dépassent largement le cadre de l’armée. Alors que le salaire moyen d’un enseignant est d’environ 140 dollars américains, les salaires et privilèges financiers des ministres, députés ou sénateurs peuvent se chiffrer en dizaines de milliers de dollars. Par ailleurs, les frais de fonctionnement des institutions ainsi que la rémunération du personnel politique figurent parmi les dépenses les plus importantes dans le budget. Le budget 2025 alloue environ 3 milliards de dollars aux dépenses de personnel. Ceci explique pourquoi la population réclame régulièrement la réduction du train de vie des institutions, notamment en allégeant la taille des gouvernements.

Enfin, ces mesures ont tout de même une portée symbolique. Le gouvernement cherche, peut-être, à rassurer la population qu’il reste conscient de la gravité de la situation actuelle dans l’Est, mais sans une mise en œuvre effective des réformes profondes, ces annonces risquent de rester symboliques et inefficaces sur le terrain.

Ange Makadi Ngoy, chercheuse à Ebuteli

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