Le rapport de Transparency International, qui place la République Démocratique du Congo (RDC) parmi les 20 pays les plus corrompus du monde, soulève des questions sur la justesse de ce classement. Bien que la RDC fasse face à des défis importants en matière de gouvernance et de corruption, il est essentiel de remettre en perspective le classement de l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) et de souligner que cette évaluation ne rend pas pleinement compte de la réalité complexe du pays.
Une évaluation basée sur des perceptions, pas des faits réels
Le principal problème de l’IPC réside dans sa méthodologie : il se base sur les perceptions de la corruption, souvent recueillies auprès d’experts étrangers et d’hommes d’affaires. Ces perceptions peuvent être influencées par une vision extérieure partielle ou déformée, ne tenant pas compte des spécificités locales de la RDC. L’instabilité politique, la guerre dans l’Est du pays et la pauvreté extrême peuvent fausser la vision de ceux qui ne sont pas immergés dans les réalités du quotidien des Congolais. Une perception négative est souvent générée par des rapports médiatiques qui focalisent sur les aspects les plus sombres du pays, sans toujours saisir les progrès réalisés dans certains domaines.
Les efforts de réformes, ignorés dans l’évaluation
Le classement de la RDC ne semble pas prendre en compte les réformes récentes entreprises pour lutter contre la corruption. Depuis l’arrivée au pouvoir du président Félix Tshisekedi, plusieurs initiatives ont été mises en place, telles que la création de l’Agence de Prévention et de Lutte Contre la Corruption (APLC) et le renforcement de l’Inspection Générale des Finances (IGF). Ces réformes, bien que confrontées à des obstacles, témoignent d’une volonté de changement au sein des autorités. Toutefois, l’IPC ne tient pas suffisamment compte des progrès réalisés, notamment dans un environnement où les ressources sont limitées et où l’impact des politiques reste souvent invisible à court terme.
Le contexte socio-politique et économique complexe de la RDC
La corruption en RDC ne doit pas être vue isolément, mais plutôt comme un phénomène interconnecté avec des facteurs historiques et sociaux complexes. La colonisation, les guerres incessantes, l’exploitation des ressources naturelles et l’instabilité politique ont laissé le pays dans une situation de vulnérabilité structurelle. Dans un pays où des régions entières sont sous contrôle de groupes armés et où l’administration est souvent absente, la lutte contre la corruption prend une autre dimension. Le classement de la RDC ne semble pas prendre en compte ces particularités géopolitiques et historiques qui expliquent en partie la difficulté de combattre la corruption dans un contexte aussi dégradé.
Les différences régionales négligées par l’IPC
Le classement de l’IPC évalue la RDC dans son ensemble, sans distinguer les disparités régionales. Certaines provinces, comme celles du Kivu ou de l’Ituri, sont marquées par des conflits armés prolongés, où la gouvernance est décentralisée et où les autorités locales peinent à imposer leur autorité face aux milices et groupes rebelles. À l’inverse, d’autres régions, comme Kinshasa, ont vu des efforts de gouvernance plus marqués. L’IPC, en ne tenant pas compte de ces différences importantes, ne parvient pas à refléter la réalité locale, et traite le pays comme un tout homogène, alors qu’il existe de nombreuses variations dans la qualité de la gouvernance et la lutte contre la corruption à travers le pays.
Les obstacles à l’aide internationale et à la mise en œuvre des réformes
Enfin, il faut reconnaître que la corruption en RDC ne dépend pas uniquement des acteurs internes. Les sanctions internationales, les conditions des bailleurs de fonds et les pressions externes ont parfois entravé les efforts de réforme, en renforçant les perceptions négatives tout en limitant la capacité du pays à mettre en place des politiques efficaces. Dans un contexte de sous-développement extrême, où les moyens pour mener des réformes sont souvent limités, la RDC peine à répondre aux attentes internationales. L’IPC, qui se base en grande partie sur des critères externes, pourrait ainsi refléter une image trop simplifiée des réalités internes du pays.
Conclusion
Le classement de la RDC parmi les pays les plus corrompus selon l’IPC ne doit pas être accepté sans question. Bien que des progrès restent à faire, il est important de reconnaître les défis spécifiques du pays et de tenir compte des efforts locaux pour améliorer la gouvernance. Plutôt que de renforcer un stéréotype négatif, il est crucial de soutenir la RDC dans ses réformes et de mieux comprendre la complexité de sa situation. Un classement plus équilibré, prenant en compte ces nuances, permettrait d’ouvrir un véritable débat sur la manière dont les réformes peuvent être soutenues de manière efficace, tout en apportant une aide internationale plus ciblée.
Jordan MAYENIKINI, chercheur et journaliste intéressé aux ressources naturelles de la RDC