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RDC-Monsieur 25 % : L’emprise de Kabila sur l’économie congolaise

De nouvelles révélations dévoilent les participations cachées de l’ex-président Joseph Kabila dans plusieurs grandes entreprises congolaises, avec l’aide de la femme d’affaires italienne Fortunata Ciaparrone.

Pendant les 18 années de règne de la dynastie Kabila, la République démocratique du Congo (RDC) s’est imposée comme un épicentre du chaos, de la corruption et de l’impunité. Transparence Internationale la classait systématiquement parmi les pays les plus corrompus au monde, juste derrière des États en faillite comme la Corée du Nord, le Burundi et la Somalie.

Dans ce contexte, il n’est guère surprenant que de nouvelles fuites en ligne fassent récemment surface, dévoilant une affaire choquante de détournements d’actifs, de pillage des caisses publiques, et de mépris total pour l’État de droit – avec Joseph Kabila au cœur du système.

Qui est Fortunata « Tina » Ciaparrone ?

Fortunata Ciaparrone, citoyenne italienne d’environ 60 ans installée depuis plusieurs années à Kinshasa, se présente comme entrepreneure « productive, honnête et modérée ». Ancienne enseignante de français et d’anglais, elle a gravi les échelons jusqu’à devenir directrice générale de plusieurs entreprises, membre de la chambre de commerce RDC-Togo, et PDG de la SOGEMIP (Société des Génie d’Exploitation Minière et Pétrolière), impliquée dans l’exploration pétrolière et minière. Elle dirige également la SESCO, active dans de grands projets d’infrastructures en RDC.

Monsieur 25%

Des documents récemment divulgués montrent Ciaparrone en vidéo, expliquant de manière détaillée les mécanismes du réseau de sociétés-écrans utilisé par Kabila pour dissimuler sa fortune. Elle y affirme agir comme prête-nom du président déchu, tout en détenant officiellement 100 % des parts de nombreuses entreprises.

« En réalité, 25 % est à Kabila », déclare-t-elle, évoquant plusieurs sociétés dont elle est la propriétaire officielle a 100%, notamment SOGEMIP Mining, CIIG, SOTEXKI, Texico, ou encore Coete Gaz. Elle précise : « CIIG, 25 % pour M. Kabila ; Coete Gaz, 25 % dans SOGEMIP ; SOTEXKI, 25 % dans Texico. Cela fait 60 % pour Kabila. »

Ces montages financiers, parfois mis en œuvre sur une seule journée, révèlent un système bien huilé destiné à blanchir de vastes sommes. Ciaparrone évoque une transaction fictive à travers laquelle SOGEMIP est entrée et sortie le même jour d’un partenariat avec LIU Resources, dans le seul but – selon elle – de blanchir 8 millions de dollars. « SOGEMIP est entré et le même jour sorti. In, c’est 35 % de ce fameux LIU Resources, et il est sorti, donc il a vendu 35 % de ses parts qui étaient à LIU Resources. Il a vendu ses 35 %, et ce montant a eu 8 millions de dollars « .

Une entreprise stratégique : SOGEMIP

Loin d’être une entité mineure, SOGEMIP est un acteur clé du secteur extractif en RDC. Elle détient des concessions pétrolières aux côtés de géants comme PERENCO et ENI, produisant plus de 10 000 barils/jour dans les blocs N’DUNDA, Yema, Matamba et Makanzi.

L’ancien ministre Budimbu a déclaré, lors de l’appel d’offres pour ces blocs pétroliers, qu’il estimait les réserves de Ndunda à environ 130 millions de barils, celles de Nganzi à 2 milliards de barils, et celles de Yema/Matamba-Makanzi à 800 millions de barils. Selon les estimations officielles, la valeur potentielle totale de ces blocs pourrait atteindre 15 milliards de dollars.

Un simple calcul permet d’évaluer à plusieurs dizaines, voire centaines de millions de dollars, le gain potentiel pour Joseph Kabila, rien qu’à travers la participation de la SOGEMIP.

SOGEMIP contrôle aussi SOGEMIP Mining, spécialisée dans l’exploitation de cobalt, cuivre, lithium et manganèse à Lualaba, une des régions les plus riches en minerais critiques.

Un « hold-up » bien documenté

Ces révélations rappellent l’enquête Congo Hold-Up menée par Mediapart et le consortium PPLAAF – la plus grande fuite de données financières de l’histoire congolaise. Elle montrait comment la banque BGFI a été utilisée pour siphonner plus de 140 millions de dollars vers des entités liées à la famille Kabila, dont sa sœur Gloria Mteyu. On y apprenait aussi comment l’homme d’affaires chinois David Du Wei a transféré plus de 60 millions de dollars à des proches de l’ex-président.

Dans une autre vidéo, Tina rapporte :

« J’ai demandé à Kabila : est-ce que moi je dois signer cette entrée et cette sortie ? – Oui, Madame Tina. » Cette vidéo montre qu’elle est en contact direct avec Kabila, qui lui donne des instructions sur la gestion des entreprises et la conclusion de contrats lucratifs.

Silence institutionnel et impunité persistante

Ces révélations s’ajoutent à un long dossier d’accusations contre le clan Kabila. Pourtant, ni l’État congolais ni la justice n’ont agi jusqu’ici, malgré la gravité des faits. Alors que le revenu mensuel moyen des Congolais stagne autour de 50 dollars, la reconcentration des ressources nationales entre les mains d’une élite corrompue reste un scandale d’État.

Plus inquiétant encore : selon certaines sources, Kabila se cacherait actuellement parmi les rebelles du M23 à Goma. Il est régulièrement accusé de financer le M23, un groupe armé accusé d’exactions à l’Est du pays. Ce lien présumé entre fortunes détournées et financement d’un conflit armé exacerbe encore la gravité du dossier.

Vers un sursaut judiciaire ?

La RDC, ainsi que la communauté internationale, doivent désormais répondre à ces révélations avec fermeté. Réformer les institutions, poursuivre les auteurs de corruption et restituer les actifs volés est une nécessité vitale pour tourner la page de la kleptocratie. Ces fuites provoqueront-elles enfin un sursaut ou seront-elles, une fois encore, étouffées dans l’indifférence ?

Billet du blog de Louis G. Durand relayé par Médiapart

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