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RDC: pourquoi l’affaire Matata Ponyo n’est pas celle de Nicolas Kazadi (Tribune)

Depuis la condamnation de l’ancien premier ministre Augustin Matata Ponyo à 10 ans de travaux forcés par la Cour constitutionnelle le 20 mai, les réactions fusent de partout. Certains dénoncent une justice à deux vitesses, comparant son sort à celui de l’ancien ministre des Finances Nicolas Kazadi, qu’ils estiment protégé par le pouvoir. Mais cette comparaison tient-elle la route ? Les deux dossiers sont-ils comparables ? Nicolas Kazadi peut-il être tenu pour responsable dans les affaires dites «forages » et « lampadaires » ? Voici les faits.


Responsabilités ministérielles : un cadre juridique clair

En République démocratique du Congo, chaque ministre est responsable de son département, conformément à l’Ordonnance n°24/88 du 11 octobre 2024, qui organise le fonctionnement du Gouvernement. L’article 93 de la Constitution précise que le ministre applique le programme gouvernemental dans son domaine sous la coordination du Premier ministre, et statue par voie d’arrêté. En clair, un ministre n’est pas responsable des projets qui ne relèvent pas de ses attributions, même s’il ordonnance les dépenses en tant que ministre des Finances.

C’est cette logique qui avait prévalu dans le dossier du programme des « 100 jours » : malgré son rôle d’ordonnateur, le ministre des Finances de l’époque, Yav Muland, n’avait jamais été inquiété. Seul l’alors directeur de cabinet du chef de l’Etat, Vital Kamerhe, qui avait piloté le programme, avait été poursuivi, puis relaxé en appel.

Matata Ponyo : une gestion personnelle et centralisée du projet Bukanga Lonzo


Dans l’affaire Bukanga Lonzo, les faits sont d’une autre nature. Matata Ponyo ne s’est pas contenté d’un rôle de coordination : il a piloté directement le projet agro-industriel à travers une cellule spéciale, mise en place sous son autorité directe à la Primature, en écartant les ministères compétents. Au cours du procès, trois inspecteurs généraux des finances en ont témoigné : les ministres sectoriels n’étaient même pas impliqués dans les signatures de contrat, et étaient parfois informés à peine 24 heures seulement avant la signature de ceux-ci.

C’est sur cette base que la Cour constitutionnelle a établi les faits : détournement de 115 millions de dollars avec le Sud-Africain Kristo Grobler Stéphanus, et 80 millions de dollars avec l’ancien gouverneur de la Banque centrale, Deogratias Mutombo. Même s’il était aussi ministre des Finances, la condamnation de Matata Ponyo porte sur les actes posés en tant que chef de gouvernement et gestionnaire direct du projet, et non dans sa fonction ministérielle. D’ailleurs, son ministre délégué aux Finances, Patrick Kitebi, n’a jamais été mis en cause.

Nicolas Kazadi : aucune responsabilité dans les projets forages et lampadaires


Le dossier de Nicolas Kazadi est d’une tout autre nature. Contrairement aux accusations lancées dans certains médias, il n’était ni initiateur, ni gestionnaire des projets en cause. En effet, le projet des forages relevait du ministère du Développement rural, dirigé par François Rubota, qui a d’ailleurs été condamné à trois ans de prison pour conflit d’intérêts. M. Kazadi, dans son rôle de ministre des Finances, a ordonnancé la dépense, mais après avoir exigé et obtenu une réduction significative du coût initial, économisant à l’État 101 millions de dollars, soit l’équivalent de 340 forages supplémentaires.

Quant au projet d’éclairage public par lampadaires à Kinshasa, il relevait exclusivement de la compétence du gouvernement provincial. À sa tête, le gouverneur de l’époque, Gentiny Ngobila, en assurait à la fois le pilotage et la responsabilité légale.

Etant donné que le financement provenait du gouvernement central, ce n’est qu’en tant qu’ordonnateur des dépenses que Nicolas Kazadi, alors ministre des Finances, est intervenu. Fidèle aux exigences de transparence et de rigueur, il avait conditionné le décaissement des fonds à l’ouverture d’un compte séquestre dédié. Il avait aussi imposé une clé de répartition claire : 30 % versés à Solektra, la société exécutante sur le terrain, et 70 % directement au fournisseur basé en France — une stratégie visant à sécuriser les fonds publics et prévenir tout détournement.

Dans ces conditions, où est la faute ? L’ancien ministre a juste été la cible d’une campagne de diabolisation médiatique, destinée à l’associer artificiellement à des détournements imaginaires. Des accusations sans fondement, concernant des projets qui ne relevaient même pas de ses prérogatives. La vérité éclate d’ailleurs à l’audience : lors du procès sur les forages tenu à la Cour de cassation, les trois inspecteurs généraux des finances, pourtant appelés à charge, n’ont présenté aucun élément incriminant Nicolas Kazadi.

En outre, face à la justice, l’attitude de Nicolas Kazadi tranche radicalement avec celle d’Augustin Matata Ponyo. Alors que ce dernier a multiplié manœuvres procédurales et recours pour éviter coûte que coûte un procès sur le fond, avant de refuser carrément de se présenter aux audiences, M. Kazadi, lui, a fait preuve d’une transparence totale. Il a répondu spontanément à la convocation du procureur, avant même la levée de ses immunités parlementaires, et a insisté pour que la commission ad hoc de l’Assemblée nationale autorise son audition.

Ce comportement est celui d’un homme qui n’a rien à cacher et tient à laver son honneur. Il n’a jamais fui la justice, bien au contraire. En résumé, le dossier Kazadi n’a rien à voir avec le cas Matata Ponyo. L’un cherche la lumière du droit, l’autre l’ombre des procédures.


Conclusion : comparer l’incomparable, c’est travestir la justice

Opposer Matata Ponyo et Nicolas Kazadi, c’est confondre les rôles, ignorer les responsabilités réelles et mal lire le droit. Dans un État de droit, ce sont les faits, et non les émotions ou les postures politiques, qui doivent primer. Et les faits, ici, sont clairs.

Me NZALIWA WALI TINZONI, Avocate

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